Le
rempart franc
Après avoir étudié le rempart gallo-romain début avril,
nous examinerons aujourd’hui le rempart des Francs.
Ce rempart est construit, sous
la direction des ingénieurs du roi, en trois grands chantiers :
1°
chantier (règne
Louis IX) : 1228-1239
2° chantier (règne Louis IX) :
1240-1245
3° chantier (règnes Philippe
III et Philippe IV) : 1280-1287
Le premier chantier 1228-1239 est une entreprise considérable,
gérée par les sénéchaux Eudes de Queux et Jean de Fricamps.
Après l’annexion de
Carcassonne au domaine royal de 1226, il y a urgence pour les occupants franchimands
de se donner les moyens de défense contre une attaque des troupes espagnoles ou
simplement contre une révolte des habitants de la région. La construction de l’enceinte
extérieure, la transformation de l’enceinte intérieure et la fortification du
château commencent. La réfection sur
plan neuf de la tour de Justice, très proche du château, fait partie de ce
chantier.
Il nous reste
un exemple d’une tour gallo-romaine refaite par les Francs pendant cette
période et finalement détruite au cours du remodelage de l'enceinte : la
tour méridionale du reste de l’enceinte primitive derrière le nouveau mur franc
entre la tour du Tréseau et la tour du moulin du Connétable : sur la photo
on reconnait aisément le nouveau parement du Moyen-Âge. Le tronc de la tour
détruite vers la tour Cahuzac montrait que cette tour avait subi le même
traitement mais, malheureusement, il a été réenfoui.
Le nivellement des lices provoque
de gros problèmes de solidité des murs gallo-romains
[voir l’article « Tours penchées » du 31
janvier 2020].
Les ingénieurs
royaux maîtrisent certes à la perfection leur reprise en sous-œuvre, mais sur
le plan efficacité militaire, ça représente plutôt un pis-aller. Mais l’urgence
de l’œuvre menait à l’acceptation de cette solution boiteuse (qui n’a
jamais été corrigée).
Le deuxième chantier (sénéchaux
Guillaume des Ormes et Hugues d’Arcis) est plutôt maigre : Le rempart
existant avait donné satisfaction pendant les combats acharnés pendant le siège
par le dernier Trencavel en 1240 ; il fallait entreprendre la remise en
état des parties endommagées (barbacane Narbonnaise ou st. Louis, la tour de
Bénazet ainsi que deux pans de l’enceinte extérieure au Nord et au Sud-Ouest
près de l’enclos de l’évêché) et surtout la rectification du périmètre de
l’enceinte extérieure sur le front oriental entre l’échauguette de l’Est et la
barbacane st. Louis avec la tour de la Vade et la tour de la Peyre suite au
démantèlement du faubourg sant Miquel.
Le troisième chantier (sénéchaux Philippe de Monts, Gui de Nanteuil
et Jean de Burlas) est le plus important : Construction de la porte
Narbonnaise, de la tour du Tréseau, réfection complète de la tour Balthazar, remodelage
complet de l’enceinte intérieure (exception faite du front Nord et de la zone
du château) avec les tours carrées de l’Évêque et st. Nazaire, des ouvrages
très puissants, entièrement neufs, construits sur les points essentiels et qui
se signalent à l’attention par un appareil à bossage caractéristique. Ailleurs,
on n’hésita pas à réutiliser les fortifications anciennes en leur faisant subir
de profondes transformations.
Ces réalisations du milieu du
siècle commandées par le roi étaient extrêmement soignées ; elles
démontraient un sens aigu du travail bien fait, un goût d’unité alliant
solidité et beauté, la volonté de construire des bâtiments munis des ultimes
perfectionnements.
Les particularités de la construction
Les élévations du moyen âge sont formées d’un noyau de
blocage [formé de blocs de pierre gros ou menus jetés pêle-mêle dans un bain
de mortier] contenu entre deux parements d’appareil.
L’appareil du XII° siècle expose bien ses
assemblages réguliers au bas des façades du grand corps de logis rectangulaire
qui sépare les deux cours du Château.
L’appareil à bossage de la fin du XIII° siècle met
en œuvre des éléments plus volumineux.
La hauteur d’une courtine doit se régler d’après celle que l’escalade peut atteindre. Lorsque
l’enceinte est double, la crête de la ceinture extérieure est tenue à un niveau
assez bas pour qu’un tir à longue portée puisse passer par-dessus.
Les courtines de l’enceinte intérieure qui procèdent, de
pied en cap, du programme de reconstruction exécuté au XIII° siècle, montent à
15 et 17m au-dessus des lices (parapets non compris), celles de
l’enceinte extérieure s’élèvent en correspondance de 8 à 11m. Les
épaisseurs ne se présentent plus dans le rapport de 1 à 3, comme dans la
muraille gallo-romaine ; la résistance des parements assurait au Moyen Âge
la possibilité d’appareiller sans risque des fronts de défense 5 et 6 fois plus
hauts qu’épais.
Les tours mesurent le plus souvent de 22 à 30m, parfois avec une grande différence
entre les niveaux côté ville et côté lices (la tour du Tréseau porte son pignon
à 30m sur la ville alors que sa hauteur est de 37 m). L’épaisseur
des murs est généralement de 2m70 à 1m10 de pied en cap (les
tours de la Porte Narbonnaise mesurant 4m10 à 2m10 de
pied en cap).
Malgré la menace de l’anathème prononcé par le pape,
Philippe II l’Auguste avait introduit l’arbalète dans son armée à cause de son performance
[distances effectives de combat : pilum env. 20m, arc env.60m,
arbalète env.100m] qui permettait l’allongement non
négligeable des distances entre les tours ; enceinte intérieure :
35, 40 et 45m ; enceinte extérieure : communément
50 et 55m mais 65m entre le Grand Canissou et le Grand
Burlas, 64m50 entre la Crémade et la Cautière et même 80m
de la Vade à la Peyre.
Conclusion :
On remarque
l’évolution dans les principes de la défense envers l’enceinte gallo-romaine :
la riposte verticale n’est pas abandonnée (hourds, bretèches et assommoirs)
mais le souci est aussi de pouvoir atteindre l’attaquant au loin (tir tendu des
arbalètes, encore plus dangereux si déclenché près du niveau du sol).
L’observation est donc encore plus importante (p.ex. les hautes et fines
guettes de la tour du Tréseau).
L’existence d’une
double enceinte permet d’opposer à l’ennemi deux lignes échelonnées de défense.
Deux remarques :
1)
Il ne faut pas oublier que les portes
d’entrée des tours (comme des poternes) se trouvaient en règle générale dans
une certaine hauteur nécessitant un moyen auxiliaire pour y arriver (un
escalier en bois, une échelle) ; ce n’est que de nos jours et pour
accommoder le passage des touristes que l’on a remplacé ces moyens par des escaliers
fixes (en tranchant parfois même dans la maçonnerie antique). Dans un but
mercantile on a défiguré la conception défensive des remparts…
2)
Les éperons en accolade, dont les tours
furent dotées à cette époque, étaient, d’après certains chercheurs, destinés à
renforcer leur résistance à une attaque frontale en détournant les chocs du
bélier ; concernant les pierres à bossage ils avancent que la forme bombée
permettait un dégagement latéral de l’énergie reçue lors de
l’impact d’un projectile en limitant ainsi les dégâts. Pour ma
part (et j’ai trouvé des notes de spécialistes qui me confirment dans mon
opinion), je suis persuadé que la combinaison de l’appareil à bossage et du
plan à éperon ne servait que peu à quelque fonction défensive plus ou moins
illusoire mais qu’il s’agit avant tout d’un élément architectural destiné à
dégager un aspect de solidité et de puissance ; dissuasion adressée à un
attaquant potentiel :
« N’essaye
même pas de m’attaquer, je suis plus fort que toi » !
Sources :
- POUX J. « La Cité de Carcassonne,
l’épanouissement (1067-1466) », Privat 1922, tome II p. 17-57
- BRUAND Y. « Les enceintes fortifiées »
dans Société française d’Archéologie, Congrès archéologique de France 131,
Session 1973, Pays de l’Aude, AD11 : 770.94448
CON pp.497-515
Texte JP Oppinger