LE SIÈGE DE
CARCASSONNE EN 1240
Pour s’informer sur ce siège il n’y a que deux sources :
- le
rapport du sénéchal Guillaume des Ormes à la reine Blanche et
- les notes de
l’inquisiteur Guy de Puylaurens.
Lorsqu’en 1209 le vicomte
Raimon Rogièr, fait prisonnier par une infâme traîtrise, meurt dans son cachot,
il laisse un fils unique, âgé de deux ans, dont il a confié la garde à son ami
et allié le comte de Foix. Cet enfant, Raimon II Trencavèl, devrait être le
dernier vicomte de Béziers. Sa destinée s’annonçait sous de bien tristes
auspices ; aussi, dès l'année 1211, on stipulait pour lui la cession de
tous ses domaines à Simon de Montfort.
Par la suite, les choses
changèrent un peu. Amaury, fils de Simon de Montfort, ne réussit pas à
s’imposer après la mort de son père et la Reconquête Occitane prend son cours ; en
1220, le comte de Foix reprenait Béziers au nom de son pupille. Quatre ans plus
tard, Amauri de Montfort ayant abandonné Carcassonne, qu'il ne pouvait défendre
contre l'armée réunie des comtes de Toulouse et de Foix, cette ville fut rendue
de même au jeune Trencavel qui regagne son palais de Carcassonne.
Mais le comte de Toulouse doit
finalement faire sa paix avec le roi Louis IX et Raimon n’y fut pas compris.
Comme beaucoup d’autres seigneurs occitans, il cherche refuge en Espagne où
nous le retrouvons, en 1236, à la cour du roi d’Aragon, occupé sans doute à
préparer sa dernière tentative pour recouvrer ses titres et ses domaines.
À cette époque intervient le
premier effort général tenté contre le roi de France par son principal ennemi
le roi d’Angleterre avec, comme alliés, les autres intéressés, les comtes de la
Marche et de Toulouse, situation jugée favorable par Raimon pour arriver à ses
fins. Dans le pays, l’orgueil et la tyrannie des Francimans victorieux ainsi
que les épouvantables rigueurs de l’inquisition avaient provoqué le regret de
la population pour ses anciens maîtres et les faidits avaient toujours conservé
des intelligences dans le pays. Des forces fidèles à Trencavèl se concentraient
à l’abri des repaires fortifiées de Montségur, Quéribus, Aguilar, Cucugnan,
Peyrepertuse.
Raimon II, entouré de ses
fidèles compagnons faydits de l’exil, commence sa progression avec ces troupes
mi-août 1240 par Alet, Limoux et Montréal. Cependant il succombe à la tentation
de la popularité et au lieu de foncer directement sur Carcassonne, il s’empare
de Montolieu, se laisse fêter en libérateur à Pépieux, Azille, Laure, La
Redorte, Rieux et Puichéric, il passe par Caunes, Minerve et Villemoustaussou.
Les dernières étapes par Conques, Salsigne et Saissac l’emmènent, le 7 ou le 8
septembre, jusqu’à Grèzes. Et ce n’est que d’ici qu’il menace directement
Carcassonne.
Son arrivé n’est donc plus un
secret pour personne et le sénéchal avait assez de temps pour organiser la
défense et d’emmagasiner des vivres en vue d’un siège ; par contre il lui
manquait le bois de charpente pour l’installation des hourds, manque de temps
ou oubli ?
Grand spécialiste dans le
domaine de la poliorcétique, le sénéchal craint qu’il ne puisse pas bien tenir
tête aux assaillants avec les forces limitées seules dont il dispose en ce
moment.
Raymond VII de Toulouse refuse de manière très courtoise de lui porter
le secours que le Sénéchal avait sollicité, mais le messager qu’il a dépêché
auprès de Louis IX l’informe à son retour qu’une armée sous le commandement de
Jean de Beaumont viendrait en renfort. Dès lors, Guillaume des Ormes sait qu’il
doit résister à tout prix derrière les murs de la Cité où se sont réfugiés
l’archevêque de Narbonne et l’évêque de Toulouse ainsi quelques barons et
clercs.
Toujours est-il que l’arrivé
de Trencavèl devant la Ciutat dans cette nuit du 08 au 09 septembre est inattendue
et le fait que les habitants des bourgs lui ouvrirent grand leurs portes a
surpris tout le monde ; l’évêque de Toulouse était-il donc venu, le 07
septembre, exhorter cette population qui jurait, une fois de plus, de rester
fidèle à l’Église et au roi.
Les assaillants commencent
immédiatement les préparations pour le siège et l’encerclement de la Cité. Un
détachement de leur force, sous la conduite de Pierre de Fenouillet, s’installe
dans la zone entre le pont et la barbacane du château, bloquant tous les accès
à l’eau, pendant qu’un autre, commandé par Olivièr de Tèrme, occupe la zone
entre la corne sud-ouest de la Cité et l’Aude et commence à y installer un camp
fortifié, coté d’Aquilon et d’Autan ils se retranchaient au bord des bourgs pour
interdire les sorties des assiégés.
Les combats commencent le 17
septembre. Ce jour-là, le sénéchal fait, apparemment inattendu pour Trencavèl,
une sortie dans le bourg Granolhete (Graveillant) et réussit à y faire
une grande provision de bois de charpente. Pierre de Fenouillet contre-attaque
et prend le moulin fortifié sur les bords de l’Aude. Ensuite il fait mettre en
place un mangonneau, protégé par des fossés, palissades et pièges, et le
sénéchal répond par l’installation d’une pierrière turque dans l’enceinte de la
barbacane. Des vrais duels d’artillerie auront lieu, toutefois sans effet
décisif (les engins de jet étaient capables de projeter des boulets de 50 à 80
kg à plus de 200 m avec une précision de quelques m).
L’intrépide Olivièr de Tèrme,
un vaillant guerrier dans la quarantaine, jadis l’un des plus puissants
seigneurs de la vicomté de Carcassonne dont Trencavèl a fait son lieutenant,
possède une grande expérience dans la technique des mines, acquise dans les
croisades de Majorque et de Valence menées par le roi Jacques Ier
d’Aragon contre les Sarrasins ; en plus, il dispose d’un personnel
important spécialisé dans ce travail dangereux. Tout cela va influencer sur la
conduite des opérations.
Trencavèl lance des assauts
multiples contre les murs de la Cité. Parallèlement, des mines sont creusées à
partir des maisons limitrophes, ce qui empêche une découverte prématurée des
travaux. Les mineurs occitans creusent, d’après le rapport du sénéchal, sept
mines contre les remparts (en
comparaison : à Majorque où l’armée catalano-aragonaise était beaucoup
plus nombreuse, il n’y en a eu que trois) et arrivent à ouvrir plusieurs
brèches ; la plus importante mine était celle qui visait la barbacane de
la porte de Razès au sud. Nous trouvons ici la guerre de mines, forme très
spéciale de combat, à un degré qui ne sera plus atteint que pendant la guerre
de Crimée ou la Grande Guerre.
La première mine est dirigée contre la Porte Narbonnaise. Les mineurs occitans arrivent à faire tomber la partie avant de la barbacane, mais les assiégés ont entendu le bruit des travaux et ont érigé un mur de pierres sèches dans la partie arrière et ainsi ils arrivent à repousser l’attaque. Une nouvelle mine vise une tourelle de l’enceinte extérieure (qui, en 1240, est encore un chantier protégé par des palissades) au front boréal. Les défenseurs exécutent des travaux de contre-minage et réussissent à tenir les assiégeants en échec. La prochaine mine est creusée contre un mur qui tombe sur « 2 créneaux », mais le sénéchal a déjà fait construire une solide palissade et empêche de cette façon la poursuite de l’attaque. Les attaquants insistent et creusent, toujours dans le secteur méridional, pas loin du palais de l’évêque, une nouvelle mine sous un mur de l’enceinte extérieure (que des Ormes qualifie comme « sarrasin »). Mais ici aussi, les défenseurs érigent une palissade dans les lices et commencent un contre-minage. Puisque la mine des attaquants leur détruit une partie du mur, ils construisent encore une palissade avec bretèche et les archers arrivent à tenir éloigné les attaquants.
Nouvel essai de minage, cette fois plus au sud à la hauteur de la Porte de Razès. Les hommes dans la Cité s’en rendent encore compte ; érigent une contre-palissade et entreprennent un contre-minage. Ils s’emparent de la mine des attaquants et les en chassent.
Malheureusement aussi les
innombrables assauts à la surface furent tous repoussés, puisque le nombre des
arbalètes derrière la protection des murs était suffisant pour rien céder au
nombre des arbalètes occitanes qui avaient tellement impressionné le sénéchal
qu’il les mentionnait dans son dans son rapport (Il s’agissait d’une arme
nouvelle qui tuait à grande distance, environ 75m, faisant encore au-delà des
nombreux blessés ; l’Église n’avait autorisé son emploi que contre les Musulmans).
Conscient de ses échecs successifs
face à des Ormes et bien informé de l’approche de l’armée royale, Trencavèl
décide de donner un assaut concentré à la barbacane du château le dimanche 30 septembre,
mais c’est encore un échec. Pourtant le vicomte ne se décourage pas et, le
samedi 6 octobre, il tente à nouveau un assaut de grande envergure. Mais aussi
cette dernière attaque est repoussée avec des pertes sévères pour le camp de
Trencavèl.
Le jeudi 11 octobre au soir
Trencavèl lève le siège et se réfugie à Montréal, non sans avoir mis le feu aux
faubourgs, poursuivi par l’armée du roi. Il fallait l’intervention des comtes
de Toulouse et de Foix (sans oublier l’approche de l’hiver qui aurait posé quelques
problèmes aux forces royales) pour qu’il puisse s’échapper et retrouver son
exil catalan.
Et voilà le bilan de 25 jours
de combat acharné pour Trencavèl :
- les 3 barbacanes démolies, le château Narbonnais en ruines,
- la tournelle commandant l’enceinte extérieure renversée,
- les lices sud-ouest envahies,
- les courtines de l’enceinte extérieure ébréchées en plusieurs
endroits et sur le point d’être franchies.
La prise de Carcassonne était
donc possible sur le plan tactique (sans l’intervention rapide de l’armée de
secours du roi) mais le vicomte ne pouvait pas vraiment espérer de s’attaquer
victorieusement à la Monarchie française avec ses ressources largement
supérieures. Et lors du siège d’Avignon en 1226, le roi n’avait-il pas déjà
prouvé sa détermination de s’assurer le contrôle du sud du royaume ?
Maintenant il ne lui reste que de se soumettre au roi de France, abandonnant
ses droits sur les vicomtés de Béziers et de Carcassonne.
Article de JP Oppinger.
Bibliographie :
- Poux J. La Cité de Carcassonne, Histoire et description,
L’épanouissement t I, pp 106-116, Privat 1931
- Doüet d'Arcq L. Siège de Carcassonne. 1240. In : Bibliothèque de
l'école des chartes. 1846, tome 7. pp. 363-379.
- Blanc, J. et alii : La Cité de Carcassonne, des pierres et des
hommes, pp.60-63, Grancher 1999