Je remercie Mme Sylvie DAVID et Mr CARO de m’avoir
autorisé à publier un texte dont voici quelques extraits. Aujourd’hui :"A l’heure où certains de nos gouvernants tentent d’édulcorer l’histoire, il
nous semble important d’entretenir la mémoire authentique fondée sur des faits
établis et vérifiables"
Août
– Décembre 1940, Aragon et Elsa s’établissent à Carcassonne, route Minervoise
où ils sont hébergés .
Elsa et Louis
organisent ici la résistance intellectuelle face à la barbarie nazie et à leurs
complices collaborateurs zélés. C’est ici, à Carcassonne où Aragon voulait rejoindre
Gallimard, qui possédait une propriété à Azille et Villalier, que pour quelques
droits d’auteur, le couple vécut jusqu’en Décembre. Car, Aragon comme Elsa
n’ont plus aucun revenu, sont coupés de pratiquement tout ce qui faisait leur
vie jusqu’en Mai 1940, à l’instar de ce qu’ont vécu de très nombreuses personnes
dans un pays désorienté, maintenant dépecé et livré à l’arbitraire vychiste et
nazie. Là, dans la cuisine, Pierre Seghers à qui avait été donné rendez-vous,
et Aragon se mettent d’accord sur la stratégie à adopter pour déjouer les
censures nazies et pétainistes Là, sur la toile cirée de la cuisine, que Aragon
remet à Pierre Seghers plus de la moitié des poèmes du futur « Crève-coeur »
écrits dans les Flandres, à Dunkerque, à Varetz.
C’est
ici, du fond du désespoir atteint qu’Elsa dit : « Les douleurs ne se ressemblent
pas, varient à l’infini. Ainsi le sombre malheur que nous éprouvâmes, à
Carcassonne, aux derniers mois de 1940 ne ressemblait-il à aucune des peines jusque-là
connues. Une mélancolie comme l’immobile eau noire du canal, noire comme les
cyprès de cette ville. La citadelle croulante et factice…Le vent. Et notre seul
havre, la chambre obscure de Joé Bousquet, son corps paralysé, décharné, étendu
là depuis la guerre de 1914, Joé Bousquet, seule lumière, seule âme de cette
ville aux portes closes, inhumaine. Non, il y avait aussi notre logeuse, une
vieille demoiselle qui s’était prise d’affection pour nous, et de nous voir si
démunis, ne sachant qu’entreprendre, qui était prête à acheter une épicerie
pour nous en confier la gérance… ».
C’est donc ici qu’Aragon a lu à Jean et Germaine
Paulhan « Les lilas et les roses » qu’il venait d’écrire à Javerlhac en
Dordogne. Jean Paulhan va transcrire ce poème de mémoire et le donner au
Figaro, dans son numéro du 21 Septembre 1940 et du 28 (version corrigée) Le
2.09.1940 : Le général Weygand décerne officiellement à Aragon la « médaille
militaire » et la « croix de guerre avec palme ». Joé Bousquet décide d’honorer
Louis Aragon et charge Pierre et Maria Sire d’organiser un dîner. Maria et
Pierre Sire « trouvent » deux poulets et reçoivent Joé Bousquet, Louis Aragon
et Elsa Triolet, les Nelli, ceci dans leur maison, 18 rue Porte d’Aude à la
Cité. Au cours de la soirée Joé Bousquet officie. Il utilise sa propre croix de
guerre 1918) qu’il épingle sur la veste de Louis Aragon.
(témoignage recueilli
par Sylvie David auprès de son père Henri Tort-Noguès. Transmission orale).
10.10.1940 : Mise
au point par Aragon et Paulhan d’une sorte de code secret pour déjouer la
censure.
27.11.1940 : Aragon
et Elsa vont à Périgueux revoir Léon Moussinac, mis en liberté provisoire, et
sa femme Jeanne. Moussinac note dans son journal : « Départ d’Aragon et Elsa
Triolet. Nous avons passé ensemble cinq jours inoubliables. Enfin, parler
librement. Rien n’est mort. Ni la France, ni la poésie, ni l’amitié. Nous
vivons désormais les temps du sang et de l’espérance. Aragon du crève-coeur,
Elsa des Mille regrets, vos lectures m’ont dispensé cet air sans quoi je ne
peux pas respirer. Votre affection m’a refait ».
13.12. 1940 :
Aragon a été malade ; il séjourne toujours à Carcassonne. Deuxième moitié de
décembre 1940 : Aragon et Elsa font le voyage de Villeneuve-lès-Avignon pour se
rendre chez Pierre Seghers. Aragon y écrit son article « Saint-Pol-Roux ou
l’espoir » qui paraîtra dans Poésie 41, n°2, décembre
1940-janvier 1941.
Ce n’est qu’au
31.12.1940 qu’Aragon et Elsa déménagent à Nice et s’installent dans l’hôtel meublé
Célimène, 63 rue de France. Claude :
« Dès Carcassonne
écrit Sadoul, Aragon avait établi un plan de résistance littéraire « légale ».
Son difficile combat durant la « drôle de guerre » lui avait prouvé qu’il
pouvait continuer d’exprimer ses sentiments profonds par ses vers. Dans les
nouvelles conditions créées par la défaite, l’occupation hitlérienne, le gouvernement
Pétain, les censures de la Gestapo et de Vichy, il fallait organiser«
légalement », par le moyen de la poésie, un mouvement de résistance littéraire qui
utiliserait avec la fiction et les contradictions de « la zone libre » toutes
les publications les plus diverses . « C’est la transposition, dans les
conditions de l’après défaite de la stratégie dada et surréaliste d’avant 1924.
Prendre appui sur les failles de l’adversaire pour faire passer la subversion »
.nous dit Pierre Daix dans « Aragon ». A l’heure où certains de nos gouvernants tentent
d’édulcorer l’histoire, il nous semble important d’entretenir la mémoire
authentique, fondée sur des faits établis, vérifiables : Aragon et Elsa furent
carcassonnais et nous osons penser que notre pays carcassonnais a été pour
quelque chose dans la capacité de résistance de notre peuple, comme en
témoignent les références explicites contenues dans les poèmes écrits ici.
Enfin, Aragon nous
fournit ici un bel exemple de résistance intellectuelle à l’inversion des
valeurs à laquelle Vichy ce livrait au même moment (voulant faire retomber sur
le peuple son propre défaitisme, ses propres abandons), et ceci sans attendre
quelque mot d’ordre venu « d’en haut », d’autant plus qu’Aragon était coupé de
la direction du PCF depuis la mobilisation, puis la « drôle de guerre », puis
la capitulation pétainiste. Puissions-nous, dans ces jours où toutes
résistances aux volontés du pouvoir de nous soumettre aux dictats des
puissances financières sont assimilées à des comportements réactionnaires, à
des injures que nous ferions au « progrès », puissions-nous renouer avec
l’esprit de résistance qui anima, dès les premiers jours de l’été 1940, tant et
tant de nos mères et pères à qui parla le poète.
Très beau récit. Bravo Antoine et merci
RépondreSupprimerMartial Andrieu