vendredi 31 janvier 2020

Tours penchées





LES TOURS PENCHÉES DE LA CITE
Vous les connaissez tous, ces tours de l’enceinte gallo-romaine penchées ! Et dans les courtines entre elles, vous avez toujours aperçu les irrégularités grossières dans le parement du rempart, surtout au front Nord, p. ex. autour de la tour du Vieulas, entre les tours du Moulin d’Avar et la tour de la Charpentière mais aussi à la tour du Plô et aux côtés de la tour du Sacraire st. Sernin, pour désigner les plus importantes.






Certains chercheurs ont interprété ces anomalies comme résultat d’une grande bataille ou d’un tremblement de terre. Mais la réponse est tout autre :
Tout commence sous le règne de Saint Louis ou plutôt sous le règne de sa mère, Blanche de Castille quand il fut décidé d’engager en urgence, après l’annexion de Carcassonne en 1226, la campagne de construction 1228-1239 comprenant la construction de l’enceinte extérieure, la transformation (provisoire) de l’enceinte intérieure et la fortification du château.

Mais le terrain entre les deux remparts suivit le relief de la colline et présentait en conséquence une pente souvent très forte (les grosses pierres sur les images 2 et 4 représentent les fondations romaines et nous donnent une idée du profil contemporain dans les lices avant les travaux).

Aussi dans les lices, il y avait donc des gros travaux à faire : sans le nivellement, les ouvrages extérieurs devaient être beaucoup plus hauts pour protéger les lices et la trop faible différence de hauteur entre les deux ceintures ne permettait pas de couvrement valable de l’extérieur par l’intérieur. Et il ne faut pas oublier les difficultés de circulation sur une pente plus ou moins forte.

Pour résoudre ces problèmes, les maîtres d’œuvre (c’est ainsi que l’on appelait alors les ingénieurs et architectes) du roi avaient donc l’idée tout à fait compréhensible d’enlever de la terre au pied de l’enceinte intérieure pour y baisser le niveau du sol et la reporter dans le dos de la future enceinte extérieure pour y rehausser le niveau : simple et efficace !
Mais ils ignoraient la disposition des fondations du rempart romain et il arrivait donc ce qui devait arriver : ce travail de terrassement découvrit ces fondations romaines qui possèdent, certes, une superficie importante mais qui sont peu profondes (elles n’atteignent souvent même pas le rocher) et les déchaussa au-dessus du sol des lices. À l’intérieur de la Cité, où de nombreux apports de terre et de décombres avaient été entassés au cours des années, le sol se trouva bien surélevé (8 à 11 m !) et exerça ainsi une pression supplémentaire qui s’ajoutait au poids des tours aux bases pleines ; la solidité de la maçonnerie du Bas-Empire se trouva compromise.

Quelques pans de mur s’écroulèrent, plusieurs tours s’inclinèrent, la tour du Vieulas se pencha même dangereusement et perdit son étage supérieur (voire image 5, dessin de J. POUX : La structure de la tour du Vieulas).


À cet accident majeur, les maîtres d’œuvre du Moyen Âge ont obvié par tous les moyens disponibles. Dans une urgence absolue, ils soutenaient les murs ébranlés par des étais permettant la construction de murs de soutènement qui mesurent jusqu’à 6 m de hauteur. Ensuite ils consolidèrent les murs et y placèrent là où il le fallait des arcs de décharge dans le but de bien répartir les masses dans le retranchement fragilisé.



Après ils reconstruisaient les parties effondrées. Et dans la foulée, il fallait encore actualiser les courtines (p.ex. par la suppression d’une tour, image 2) et les surélever conformément aux normes actuelles.

Ce travail est illustré de façon excellente par un dessin de Gérard GUILLIER dans le livre « Carcassonne, histoire et Architecture » de Jean-Pierre PANOUILLÉ (décédé le 19 janvier dernier et inhumé à Pezens) :



Légende :
1 –aplanissement des lices                                      2 et 3 – reprise en sous-œuvre
4 – tour (du Vieulas) fragilisée                                        5 - surélévation de la courtine
6 et 7 - remplacement du mur gallo-romain par un imposant mur franc (entre la tour du Tréseau et la tour du moulin du Connetable)

Tout cela a emmené à la configuration suivante : la construction du Bas-Empire, caractérisée, on se souvient, par son petit appareil mêlé de cordons de brique, apparaît comme un ruban horizontal plus ou moins large, courant entre deux bandes de maçonnerie qui l’encadrent au-dessous et au-dessus, à appareil plus grand, époque de saint Louis, pour le secteur qui va de la tour du Moulin-du-Connétable à la traverse du Sénéchal et en bossage, époque de Philippe « le Hardi », pour celui qui va de la tour st. Martin à la tour st. Sernin.



Ces incroyables efforts soulignent encore la volonté des occupants francs de se donner au plus vite les moyens de pouvoir faire face à toutes les menaces possibles. Une partie de ces travaux était sans doute provisoire dans l’esprit des ingénieurs comme le prouvent p.ex. les pierres d’attente qui amorcent, côté sud de la porte Narbonnaise, la courtine attenante.




La baie (murée) romaine dans le retour sud de la tour st. Sernin est à moitié noyée dans la muraille déjà renforcée (bien visible aussi de l’intérieur).




L’intention était donc de refaire ce secteur entièrement.
Tous ces travaux, qui ne furent terminés avant le règne de Philippe III, témoignent d’une extraordinaire maîtrise technique des ingénieurs royaux.
Il est surtout fascinant de constater dans quelle mesure ces maîtres d’œuvre, sous la contrainte de l’urgence, s’attelaient à conserver tous les débris anciens encore utilisables !
Et comme, par la même, ils nous permettent aujourd’hui de mieux comprendre l’histoire de notre Cité…

Texte de JP Oppinger

Sources :
- POUX J. « La Cité de Carcassonne »
- BRUAND Y. « Les enceintes fortifiées » dans Société française d’Archéologie, Congrès archéologique de France 131, Session 1973, Pays de l’Aude, ADA : 770.94448 CON pp. 497-515



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