LE SOIR DU DIMANCHE 23 JUILLET
1944 A RIBAUTE
( Témoignage
)
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La journée avait été belle et chaude.
La nuit était tombée. Une nuit bien noire, sans lune, sans éclairage public
pour cause de black out. Après avoir écouté les informations diffusées en
français sur Radio Londres, « Les français parlent aux français »,
je m’apprêtais à me rendre à l’ancienne gare du tramway, un petit bâtiment où
la jeunesse ribautoise se retrouvait le dimanche au soir pour danser sur la
musique d’un vieux pick up et où mon frère marié un mois plus tôt m’avait
précédé avec son épouse. Mon père, qui se couchait tôt, sortit de la maison et
fit quelques pas avec moi vers la route où il avait l’habitude d’aller
ausculter le ciel pour se faire une opinion sur les probabilités
météorologiques du lendemain.
Notre maison était celle qui se situe
au n° 12 de la Rue Marcellin Albert ; nous avions donc à gravir les deux
courtes rampes qui nous séparaient de la route. En arrivant à hauteur de
l’impasse aujourd’hui baptisé François
Mitterand, une ombre a surgi de la pénombre, nous avons reconnu à la voix notre
voisine Emma, dont la maison se situait au n° 1 de l’impasse. Elle nous dit que
plusieurs camions venaient d’entrer dans le village et qu’ils étaient
stationnés sur la route, moteurs et feux éteints.
« Je crois que ce sont des allemands »,
dit-elle. La nuit était si sombre qu’on ne voyait pas les véhicules qui
n’étaient pourtant qu’à une vingtaine de mètres, mais on entendait des éclats
de voix à l’accent germanique. Et puis, la voix inquiète de madame Marguerite Rouger, épouse de
l’instituteur, qui cherchait son fils : « Vous n’avez pas vu
Max ? ». A qui s’adressait-elle dans la nuit noire, sur la route où
s’était arrêté le convoi ?
Soudain, une forte détonation et, avec
le sifflement caractéristique des fusées, précisément une fusée éclairante
s’élève, une sorte de serpent éblouissant éclairant pendant quelques instants
d’une lumière crue les murs des maisons et les camions à l’arrêt sur la route.
Mon père, à qui cette chose rappelait sans doute de sombres souvenirs, me
saisit par le bras et nous redescendons précipitamment jusqu’à notre maison
tandis que l’on entend le crépitement d’une mitrailleuse du côté de la gare.
La porte refermée à clef, avec mon
père, ma mère et ma grand’mère maternelle nous allons vivre dans l’angoisse des
heures interminables. Combien de temps les tirs ont-ils duré ? Dix minutes,
peut- être davantage, avec de courtes interruptions. Enfin, après un moment de
silence, une dernière et brève rafale.
Deux
heures après ou peut-être davantage on frappe à la porte ; mon
frère et sa femme entrent. Leurs visages reflètent la peur qu’ils ont connue,
leurs habits déchirés témoignent d’une fuite précipitée à travers des
broussailles et par des endroits ravinés.
Un silence lourd règne maintenant dans
Ribaute. Les chiens qui aboyaient se sont tus.
Au petit matin la stupeur se lit sur
les visages de celles et ceux qui se retrouvent dans la rue et sur la place
pour parler de ce terrible événement.
On apprend qu’il y a eu deux tués,
deux ou trois blessés légers et un enlèvement. Louis Beaudouvy, 23 ans, père d’une
enfant de trois mois, a reçu une balle explosive en plein cœur. Un nommé
Bringuier, homme d’une trentaine d’années qui habitait à Camplong et le jeune
Francis Gélis, 16 ans, étaient embarqués de force sur un camion. Bringuier a
tenté de s’échapper, on l’a retrouvé mort, criblé de balles, dans la partie
haute de la rue de l’Abeille. Francis a
été emmené à Carcassonne, obligé, au besoin à coups de crosse, de se tenir
accroupi et les mains sur la tête tout au long du voyage. Ses parents
réussiront à le faire libérer le lendemain.
Ce dimanche-là, la colonne des
militaires allemands était montée à l’assaut d’un groupe de maquisards situé
sur le territoire de la commune de Lairière, au bord du plateau de Lacamp. Il y
avait eu des tués des deux côtés;
les allemands ramenaient leurs morts dans leurs camions. A Durfort, où ils se
sont arrêtés, ils ont trouvé du vin dans une cave, ils ont bu tout ce qu’ils
ont pu engloutir et sont repartis non sans avoir mis le feu à la seule maison
habitable de Durfort, inoccupée ce jour-là.
A Ribaute le mitraillage avait copieusement arrosé
l’espace de l’ancienne gare. La porte en tôle épaisse du petit bâtiment a été transpercée à plusieurs endroits par les
balles. On a relevé des dégradations de la façade. La maison
d’habitation de Mr Henri Maury, alors maire, a reçu de nombreux impacts. Pour
se protéger des tirs, M. Maury et son gendre, avaient plaqué des matelas contre
les fenêtres. Nous apprendrons le lendemain que le
village de Moux a connu un sort comparable puisque deux jeunes hommes qui
rentraient tranquillement chez eux ont été tués au fusil mitrailleur manié
depuis l’un des camions qui ne se sont
pas arrêtés.
Robert Anguille
(mai 2014)
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