Il y très peu de témoignages d'habitants de la Cité pendant la guerre. En effet pratiquement tous les Citadins durent quitter leur domicile pour se réfugier chez des parents, des amis ou des personnes accueillantes dans des campagnes ou des villages, ainsi toute ma famille se réfugia à Saint Papoul pendant 1 an ou 1 an et demi. Dans la Cité seules 6 ou 7 personnes furent, pour des raisons professionnelles, réquisitionnées pour y rester: taxi, professionnels de l'hôtel...
Aujourd'hui ne restent que quelques vagues souvenirs citadins.
Le texte que je vous propose a été écrit par Robert Anguille qui a vécu la guerre dans son village de Ribaute.
C'est un témoin qui raconte simplement, sans grandiloquence, cette période douloureuse pour tous, la plupart obligés de faire avec...., de faire comme si ..., en espérant que cela se termine au plus vite, avec cette peur permanente, qui vous fait sursauter au moindre bruit, qui vous fige au silence pesant, mais avec une volonté de vivre malgré tout.
En ce mois de Novembre, mois du souvenir, je me permets de vous faire profiter du témoignage de Robert Anguille.
Soldats allemands à Ribaute ( novembre 1942 )
Le 8 du mois a eu lieu le
déparquement en Afrique du nord de soldats Etats Uniens et Anglais. Le 11 les
troupes allemandes franchissent la ligne de démarcation et se répandent en zone libre.
Ribaute, où j’habite, (330 habitants dans
les années quarante) est un village du
sud de la France , dans les Corbières , situé par voie routière à quarante
kilomètres de Carcassonne, chef-lieu du département de l’Aude . La route
départementale qui relie Lagrasse à
Lézignan- Corbières le traverse. La population essentiellement paysanne y vit
de ce que lui rapporte la vigne. La rivière Orbieu, affluent du fleuve côtier
Aude, s’écoule au pied des bas quartiers du village.
Ce jour-là, en début d’après-midi, enfourchant ma bicyclette j’étais
allé faire un tour à Lagrasse et j’ai
trouvé à la sortie de ce village, ô surprise ! une colonne motorisée de
soldats allemands, selon toute apparence
prête à partir vers Ribaute. Autant qu’il m’en
souvienne, il y avait en tête deux sidecars, suivis de véhicules légers à
quatre places précédant des camions de transport d’infanterie . Tout cela était
si inattendu que je le mémorisai illico.
J’ai fait aussitôt demi-tour pour
annoncer la " bonne nouvelle" aux Ribautois.
Je ne me souviens pas de la date
précise. Je sais seulement que, dès le
11 novembre, l’armée teutonne s’installait à Carcassonne. Le 11 novembre 1942
était un mercredi. Sous le régime de Vichy on ne commémorait pas l’armistice de
1918 ; la dernière cérémonie commémorative avait eu lieu le 11 nov.1940.
Ci-joint la photo que j’avais prise au monument aux morts de Ribaute. Né le
9/11/24, j’avais alors 16 ans. Lorsque j’ai vu tous les anciens combattants du
village réunis et leur air grave j’ai été saisi par l’émotion, et le gamin que
j’étais n’a pas hésité à proposer à ces hommes qui avaient connu les
horreurs de la guerre de
14-18, où beaucoup d’enfants de Ribaute étaient tombés, de les prendre en
photo.
Ce jour de novembre 42 donc, un jour
de beau temps, que pouvaient faire les villageois en ce début
d’après-midi ? Sans doute étaient-ils pour la plupart occupés à tailler la vigne .La plupart des
femmes devaient être au village. Il est probable que les hommes dispersés dans
les environs aient été prévenus et soient rentrés chez eux .De cela je ne me
souviens que très vaguement mais, de mémoire, il y eut vite du monde dans les
rues et sur la place. Et quelques commentaires ; notamment : «
Pourquoi ces allemands s’arrêteraient-ils à Ribaute ? ». Oui, mais
le fait est qu’ils s’y arrêtèrent.
Paul, mon frère ( 22 ans ) qui était
coiffeur en plus d’être viticulteur, se trouvait à la maison. Aussitôt apprise
la nouvelle, il enveloppa d’un linge ses rasoirs, ses ciseaux et sa tondeuse , rangea soigneusement le tout dans une boite
métallique qu’il alla cacher quelque part dans un recoin de notre
grenier : « Je ne fais plus le coiffeur ». Cependant, sur le soir
les premiers clients se présentaient. Il
les renvoya poliment. Même pas une demi-heure après, le maire arrivait
accompagné d’un gradé, peut-être un capitaine ( ? ). « Paul,
il faut que tu les reçoives sinon vous
allez avoir des ennuis. Il faut que tu comprennes la situation ». Alors, tous les soirs, dans la
pièce du rez de chaussée où nous vivions, il y eut de jeunes allemands qui
venaient se faire tailler les cheveux. Mon grand – père (80 ans) allait se
coucher, le reste de la famille se cantonnait dans la cuisine, sauf moi qui restais avec mon
frère et qui, pour m’occuper, sur la table familiale poussée dans un coin,
faisais mes devoirs ; j’étudiais par correspondance. Tout se passait en
silence mais les trois ou quatre soldats, qui arrivaient et repartaient
ensemble, échangeaient parfois quelques mots. Un soir, l’un d’eux, apercevant ma
mère et ma grand’mère qui tricotaient assises dans la cuisine près de la cheminée,
capta mon regard et me dit quelque chose comme : « la maman ».
Il me fit comprendre qu’il avait lui « aussi une maman en Allemagne. Puis,
brusquement, il saisit ma main et me fait constater à travers le tissu de son
pantalon qu’il a une blessure profonde à la cuisse .Il dit un mot et je
comprends « Russie ». Moment surréaliste. Chez moi, dans ma maison,
trois jeunes allemands en uniforme. Loin de leur famille. Envoyés au repos dans le Midi de la France après avoir fait la
guerre en Russie. Un peu perdus, sans doute et quêtant d’instinct un peu de
chaleur, un peu de fraternité. Ces garçons, je pourrais être un des leurs. Une
bande de fous les a envoyés à la boucherie !
Un soir, arrive un officier qui lui
aussi se fait tailler les cheveux. Mais lui, il ne repart pas tout de suite. Il
s’installe. Il parle un français très correct. Il est professeur d’histoire.
Francophile. Il dit que la France et l’Allemagne doivent s’unir. Qu’elles
domineront le reste du monde. En nous quittant il nous tend la main. Tout cela
est cruellement humain.
Quelquefois, même en présence de ces
clients peu ordinaires, j’écoutais Radio – Londres. Un soir l’un deux me
demanda d’un signe s’il pouvait « se servir » du poste et, sans
attendre de réponse, il se mit à tourner le bouton de sélection, jusqu’à ce
qu’une voix allemande sorte du haut-parleur. Avec un sourire réjoui ses camarades
s’approchent et écoutent. Mais il s’agit d’une émission d’informations anglaises, donc émanant de l’ennemi, et leur
visage se décompose. Ils s’écrient : « Communist !
Terrorist ! » et éteignent rageusement le poste. Mon frère et moi rigolons en silence, tandis qu’un
ami qui se trouve là éclate carrément de rire devant leur déconvenue. Il sera
tué par des soldats allemands à Ribaute
même le 23 juillet 1944.
Ils resteront une semaine à Ribaute où la vie a repris son cours. Il y a le couvre-feu, mais le jour chacun vaque à ses occupations.
Ils resteront une semaine à Ribaute où la vie a repris son cours. Il y a le couvre-feu, mais le jour chacun vaque à ses occupations.
Je taille la vigne des «
Moulinols », une petite parcelle au bord de l’Orbieu. Une vingtaine de
soldats arrivent et, à quelques mètres, se mettent à faire des exercices physiques.
Bras tendus à l’horizontale et un fusil dans les mains, flexions des jambes en
comptant le nombre de mouvements. Pompes à n’en plus finir, jusqu’à ne plus
pouvoir se relever, sous la surveillance d’un capo qui, à la première défaillance
, d’un méchant coup de botte appliqué violemment sur l’arrière du crâne plaque
la face du soldat contre la terre de ma vigne. Sur une crête rocheuse se tient
un officier portant un uniforme extrêmement
chic. Il surveille tout ça, une badine à la main. M’efforçant de faire
comme si de rien n’était je continue de tailler la vigne.
Je suis au « Caïran », une autre petite
vigne plantée sur la pente d’un ravin de la Bade, petite colline au sud de
Ribaute, et je taille. En voilà d’autres , un petit groupe. Ils
s’installent sur l’autre pente, à une centaine de mètres de moi, et font du tir
à la mitrailleuse. Ça crépite un bon moment. Mais que fait le Coucou dont le
chant se répercute habituellement en écho dans ce coin perdu ? Quand ils
sont repartis, par curiosité je me rends à l’endroit du tir. Il y a au sol une innombrable quantité
de douilles . Et j’entends un bruit de pas, c’est un soldat chaussé de souliers
ferrés qui marche sur la rocaille. Il vient d’où se dirigeaient les tirs. On
l’avait probablement posté là- bas pour veiller à ce qu’il n’y ait pas de
danger pour un éventuel passant ; ou peut-être aussi pour ramener la cible.
Il passe pas loin de moi et ne me voit pas. Je m’empare d’une douille!
Les allemands, il a bien fallu les
loger. Les hommes de troupe sont au Foyer des Campagnes, notre salle des fêtes.
Les Officiers et sous-officiers chez l’habitant. Des chambres ont été réquisitionnées.
Chez Maurice G., le capitaine dort avec son ordonnance.
On leur sert les repas sur la place
du village où la cantine est installée tous les jours le temps nécessaire. Les
troufions font la queue pour recevoir leur ration. Quelques badauds, surtout
des enfants qui enfreignent l’interdiction faite par les parents. Ça se
bouscule un tout petit peu dans la file d’attente. Le fauteur de trouble est
repéré ; quand on lui a rempli sa gamelle le capo de service la retourne
et la lui vide sur les pieds. Il dormira le ventre vide cette nuit.
Voilà, ils sont repartis. Au petit
jour on a entendu le bruit des moteurs.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
" Los Ciutadins " Une association, un blog pour la défense de notre patrimoine la Cité.
A vos claviers vos commentaires sont les bienvenus
Merci Anton de Ciutad