Un grand merci à
JP Oppinger qui a eu la gentillesse de me faire parvenir une étude afin que tous les amis de la Cité, les lecteurs du blog " Los Ciutadins" et tous les chercheurs autodidactes passionnés puissent profiter de ce travail important sur un soldat de Carcassonne à l'époque Romaine et d'un Archidiacre Majeur de l'Evêché au 13ème siècle.
Caïus Julius NIGER et Sans MORLANE
Deux fils de Carcassonne
mal aimés ?
En 1769, ce cippe fut trouvé sur
le site d’un ancien camp romain près du village de BRETZENHEIM en Allemagne,
pas loin de MAYENCE sur le Rhin dans le Palatinat, région allemande avec
beaucoup de souvenirs français du temps de Louis XIV …mais ce cippe est
beaucoup plus ancien, daté du premier quart du Ier siècle et il faut
se donner la peine de déchiffrer l’inscription pour comprendre son intérêt pour
la Cité. N’appartenant pas à la communauté des scientifiques j’ai demandé de
l’aide au Musée de Mayence qui abrite ce trésor (n° d’inventaire : S 122).
Voici l’épitaphe (témoignant d’une certaine culture
littéraire) :
Inscription dans l’original :
C IVLIVS C F VOL
CARC NIGER MI
LES LEG II ANNOR
XXXXV AER XVII
H S E
HOSPES ADES PAVCIS ET PERLEGE VER
SIBVS ACTA AETERNVM PATRIAE HIC
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RA CINISQUE C IVLIVS COGNATVS
MILES LEG II ...
Les Romains travaillant
beaucoup avec des raccourcis pour réaliser leurs inscriptions il faut compléter
le texte, ce que je fais ici avec les cinq premières lignes au centre de notre
intérêt :
C(aius) IVLIVS C(aius) F(ilius) VOL(tinia
tribu)
CARC(asone) NIGER MI
LES LEG(ionis) II ANNOR(um)
XXXXV AER(orum) XVII
H(ic) S(itus) E(st)
Nous avons découvert le mot CARCASONE et maintenant
nous voulons bien en connaître la signification, voilà donc la
traduction :
Ici repose Caïus Julius Niger, fils de Caïus de
la tribu des Volques de Carcassonne, soldat de la 2° légion, mort à 45 ans
après 17 ans de service.
Voyageur, attarde-toi et regarde les quelques
lignes gravées ici. Car ici même sera pour l’éternité sa demeure ; ici, Julius lui-même sera enfermé dans le tombeau, ce corps bien-aimé deviendra cendres.
« J’avais atteint la fleur de l’âge quand sonna le glas de mon existence. Ma
quarante-cinquième année fut ma dernière lorsque arriva pour moi ce jour fatal et amer. Et me voilà contraint de traverser les eaux du Styx où le destin
m’a assigné domicile éternel. Je me souviens être né de Caelia et de mon cher
père ; et, comme soldat, j’ai toujours vaillamment porté les armes. Une cruelle
jeunesse ne m’a accordé aucune joie, et à présent mes membres défigurés sont
enfouis au sein de la terre et des cendres. »
Caïus Julius, son
parent, soldat de la 2° légion
Puisque ce cippe est le seul
document lapidaire qui nous indique le nom de la tribu à laquelle appartenaient
les habitants de Carcassonne à l’époque, nous devons être reconnaissant à Antonin
CROS MAYREVIEILLE (fils de Jean-Pierre) qui, lors d’un voyage aux bords du
Rhin, a fait exécuter le moulage sur la photo suivante, moulage que l’on peut trouver
aujourd’hui au musée lapidaire de la Cité.
Sources :
- Congrès archéologique de France LXXIII°
Session tenu à Carcassonne et Perpignan en 1906 ; p.260 « Le Soldat
de Carcassonne » A. HERON DE VILLEFOSS, AD 11 770 9448 CON
- SESA, Mémoires, tome III, deuxième série,
1907, pp. 216 -219
Et cette pierre tombale, la connaissez-vous ?
C’est
la pierre tombale de Sans Morlane dans la Basilique st Nazaire
encastrée
dans la muraille près la porte ste Anne ou porte des Morts (50x70 cm).
Qui était Sans
Morlane ?
On est surpris de voir apparaître
dans les registres de l’Inquisition des officiers royaux, et même l’archidiacre
majeur de l’évêché, Sans Morlane. Celui-ci joua, de connivence avec les
consuls, un rôle central dans un complot visant à détruire les archives de
l’Inquisition en 1284.
Je laisse Suzanne NELLI,
l’épouse de René, vous informer sur la famille Morlane :
« Les Morlanes
appartenaient à une famille très considérée de la haute bourgeoisie qui
entretenait de bons rapports avec la noblesse. On peut la suivre dans les
documents du XII° siècle jusqu’au commencement du XIV° siècle. Avant la
croisade ils vivaient dans l’entourage des Trencavel. En 1181, un Arnaud
Morlane avait signé comme témoin une charte passée entre Sicard de Lautrec et
le vicomte Roger. En 1191, il est encore témoin du serment de la noblesse des
vicomtes de Carcassonne et de Béziers au fils de Roger. Guillaume Arnaud
Morlane, peut-être son fils, avait signé trois actes du 24 août 1215 entre
Simon de Montfort et l’abbé de Lagrasse, et en février 1224, il est témoin de
l’acte de Trencavel qui donnait ses biens au comte de Foix. Un Sans Morlane,
chanoine, très vraisemblablement le futur archidiacre de Carcassonne, est
témoin au dénombrement des fiefs du comte de Foix en 1263.
Le personnage le plus éminent
de la Famille était Sans Morlane. Il avait représenté le Chapitre de
Carcassonne à l’assemblée des états de la sénéchaussée en 1271 à Béziers, il
devient procureur épiscopal, administrateur du diocèse. Son frère Arnaud était
recteur de Pennautier. Leur famille avait eu des rapports avec l’hérésie. Leur
père, à sa mort, avait reçu le consolament, leur mère avait fréquenté les
parfaits. Les deux frères, inquiets des conséquences que cela pourrait avoir
auprès de l’Inquisition, car à cette époque, vers 1256, ils avaient des cures
dans le diocèse –révocation possible et privatisation de leurs bénéfices
ecclésiastiques- écrivirent au pape Alexandre IV à propos de leur mère défunte
qui, bien que s’étant laissée abuser par l’hérésie, avait reçu le Viatique de
son curé et avait été enterrée en terre chrétienne, en le suppliant de pourvoir
à cette fâcheuse réputation. Répondant à leur demande le pape, par une bulle du
14 octobre 1256, déclarait que malgré le crime d’hérésie de leur mère, ils
conserveraient leurs cures et leurs bénéfices, et que l’inquisition ne pourrait rien contre eux.
Dès lors, ils purent poursuivre leur carrière ecclésiastique en toute
tranquillité, en restant secrètement unis aux partis de l’hérésie. »
Le complot de 1284 contre les archives de l’Inquisition à Carcassonne.
En
automne 1284 il y eu un complot visant à voler et détruire les archives
inquisitoriales, dans lesquelles étaient notés tous les noms de suspects
d’hérésie ; de ce fait, toute la population vivait dans une frayeur
permanente.
A ce
complot auraient participé l’archidiacre majeur de Carcassonne, Sans Morlane, comme
agent principal, des notables de Carcassonne ainsi que les habitants de la
contrée environnante, trente-cinq personnes au total, dont onze consuls.
Le
complot échouait lamentablement et si les conséquences pour les autres
participants à ce complot étaient graves, Sans Morlane ne fut pas
inquiété ; il avait de la chance, le pape Honorius IV le soutenait à son
tour. Il jouit même jusqu’à sa mort d’un considérable prestige dans la ville de
Carcassonne et dans le diocèse.
Après
sa mort en 1311 il fut enterré dans la cathédrale de la Cité, ou j’ai trouvé sa
pierre tombale, elle aussi sans aucun indice utile.
Et voici son épitaphe :
En octobre 2012, j’ai pu réaliser la traduction (difficile à
cause des abréviations pas classiques mais propres à l’église catholique) avec
l’aimable soutien de Monsieur Georges BRUYERE, archiviste diocésain de l’Evêché
Carcassonne-Narbonne :
CI GIT LE SEIGNEUR
SANS MORLANE, NAGUÈRE ARCHIDIACRE DE LA SAINTE-MARIE DU BOURG NEUF, NOMMÉ PAR
LA SUITE AUMONIER DE CARCASSONNE À CAUSE DE SON DEVOUEMENT*, QUI DÉCÉDA LE X JOUR AVANT LES
CALENDES DE SEPTEMBRE (= 23 AOÛT)
EN L’AN DU SEIGNEUR 1311. QUE SON ÄME REPOSE EN
PAIX. AMEN
Sources :
- DENISOVA,
Ekatarina : La « rage
carcassonnaise » (1295-1305) et ses acteurs. 2011
- NELLI,
Suzanne : Sans Morlane, archidiacre de Saint Nazaire de Carcassonne « qui
fut l’âme » du complot de 1284-1285, ourdi avec les consuls pour dérober les
registres de l’Inquisition. Extr. de : « Hérésis », n°32, [2000] P. 37-52
- ROCHE
(Julien), Une Église cathare : l'évêché du Carcassès. Carcassonne, Béziers,
Narbonne, 1167-début XIVe siècle, Cahors, L’Hydre, 2005, p. 385.
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Un soldat de Carcassonne, qui meurt loin
de sa patrie en défendant les frontières de l’Empire, seul Carcassonnais connu de
l’époque romaine de la Cité,
un archidiacre majeur de l’évêché de la Cité, qui ose affronter le zèle meurtrier des Inquisiteurs, ce sont quand même des personnages éminents dans l’histoire de Carcassonne.
Ne trouvez-vous pas qu’ils auraient mérité un peu plus de considération de nôtre part et cela aussi par la mise en valeur de ce qui nous reste comme souvenir matériel de leur existence ?
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