samedi 6 juin 2020

Le rempart des Francs




Le rempart franc

Après avoir étudié le rempart gallo-romain début avril, nous examinerons aujourd’hui le rempart des Francs.




Ce rempart est construit, sous la direction des ingénieurs du roi, en trois grands chantiers :

chantier (règne Louis IX) : 1228-1239
2° chantier (règne Louis IX) : 1240-1245
3° chantier (règnes Philippe III et Philippe IV) : 1280-1287

Le premier chantier 1228-1239 est une entreprise considérable, gérée par les sénéchaux Eudes de Queux et Jean de Fricamps.
Après l’annexion de Carcassonne au domaine royal de 1226, il y a urgence pour les occupants franchimands de se donner les moyens de défense contre une attaque des troupes espagnoles ou simplement contre une révolte des habitants de la région. La construction de l’enceinte extérieure, la transformation de l’enceinte intérieure et la fortification du château commencent. La réfection sur plan neuf de la tour de Justice, très proche du château, fait partie de ce chantier.
Il nous reste un exemple d’une tour gallo-romaine refaite par les Francs pendant cette période et finalement détruite au cours du remodelage de l'enceinte : la tour méridionale du reste de l’enceinte primitive derrière le nouveau mur franc entre la tour du Tréseau et la tour du moulin du Connétable : sur la photo on reconnait aisément le nouveau parement du Moyen-Âge. Le tronc de la tour détruite vers la tour Cahuzac montrait que cette tour avait subi le même traitement mais, malheureusement, il a été réenfoui.







Le nivellement des lices provoque de gros problèmes de solidité des murs gallo-romains [voir l’article « Tours penchées » du 31 janvier 2020]. Les ingénieurs royaux maîtrisent certes à la perfection leur reprise en sous-œuvre, mais sur le plan efficacité militaire, ça représente plutôt un pis-aller. Mais l’urgence de l’œuvre menait à l’acceptation de cette solution boiteuse (qui n’a jamais été corrigée).

Le deuxième chantier (sénéchaux Guillaume des Ormes et Hugues d’Arcis) est plutôt maigre : Le rempart existant avait donné satisfaction pendant les combats acharnés pendant le siège par le dernier Trencavel en 1240 ; il fallait entreprendre la remise en état des parties endommagées (barbacane Narbonnaise ou st. Louis, la tour de Bénazet ainsi que deux pans de l’enceinte extérieure au Nord et au Sud-Ouest près de l’enclos de l’évêché) et surtout la rectification du périmètre de l’enceinte extérieure sur le front oriental entre l’échauguette de l’Est et la barbacane st. Louis avec la tour de la Vade et la tour de la Peyre suite au démantèlement du faubourg sant Miquel.

Le troisième chantier (sénéchaux Philippe de Monts, Gui de Nanteuil et Jean de Burlas) est le plus important : Construction de la porte Narbonnaise, de la tour du Tréseau, réfection complète de la tour Balthazar, remodelage complet de l’enceinte intérieure (exception faite du front Nord et de la zone du château) avec les tours carrées de l’Évêque et st. Nazaire, des ouvrages très puissants, entièrement neufs, construits sur les points essentiels et qui se signalent à l’attention par un appareil à bossage caractéristique. Ailleurs, on n’hésita pas à réutiliser les fortifications anciennes en leur faisant subir de profondes transformations.
Ces réalisations du milieu du siècle commandées par le roi étaient extrêmement soignées ; elles démontraient un sens aigu du travail bien fait, un goût d’unité alliant solidité et beauté, la volonté de construire des bâtiments munis des ultimes perfectionnements.




Les particularités de la construction
Les élévations du moyen âge sont formées d’un noyau de blocage [formé de blocs de pierre gros ou menus jetés pêle-mêle dans un bain de mortier] contenu entre deux parements d’appareil.
L’appareil du XII° siècle expose bien ses assemblages réguliers au bas des façades du grand corps de logis rectangulaire qui sépare les deux cours du Château.




L’appareil à bossage de la fin du XIII° siècle met en œuvre des éléments plus volumineux.



La hauteur d’une courtine doit se régler d’après celle que l’escalade peut atteindre. Lorsque l’enceinte est double, la crête de la ceinture extérieure est tenue à un niveau assez bas pour qu’un tir à longue portée puisse passer par-dessus.
Les courtines de l’enceinte intérieure qui procèdent, de pied en cap, du programme de reconstruction exécuté au XIII° siècle, montent à 15 et 17m au-dessus des lices (parapets non compris), celles de l’enceinte extérieure s’élèvent en correspondance de 8 à 11m. Les épaisseurs ne se présentent plus dans le rapport de 1 à 3, comme dans la muraille gallo-romaine ; la résistance des parements assurait au Moyen Âge la possibilité d’appareiller sans risque des fronts de défense 5 et 6 fois plus hauts qu’épais.
Les tours mesurent le plus souvent de 22 à 30m, parfois avec une grande différence entre les niveaux côté ville et côté lices (la tour du Tréseau porte son pignon à 30m sur la ville alors que sa hauteur est de 37 m). L’épaisseur des murs est généralement de 2m70 à 1m10 de pied en cap (les tours de la Porte Narbonnaise mesurant 4m10 à 2m10 de pied en cap).
Malgré la menace de l’anathème prononcé par le pape, Philippe II l’Auguste avait introduit l’arbalète dans son armée à cause de son performance [distances effectives de combat : pilum env. 20m, arc env.60m, arbalète env.100m] qui permettait l’allongement non négligeable des distances entre les tours ; enceinte intérieure : 35, 40 et 45m ; enceinte extérieure : communément 50 et 55m mais 65m entre le Grand Canissou et le Grand Burlas, 64m50 entre la Crémade et la Cautière et même 80m de la Vade à la Peyre.

Conclusion :
On remarque l’évolution dans les principes de la défense envers l’enceinte gallo-romaine : la riposte verticale n’est pas abandonnée (hourds, bretèches et assommoirs) mais le souci est aussi de pouvoir atteindre l’attaquant au loin (tir tendu des arbalètes, encore plus dangereux si déclenché près du niveau du sol). L’observation est donc encore plus importante (p.ex. les hautes et fines guettes de la tour du Tréseau).
L’existence d’une double enceinte permet d’opposer à l’ennemi deux lignes échelonnées de défense.




  
Deux remarques :

1)       Il ne faut pas oublier que les portes d’entrée des tours (comme des poternes) se trouvaient en règle générale dans une certaine hauteur nécessitant un moyen auxiliaire pour y arriver (un escalier en bois, une échelle) ; ce n’est que de nos jours et pour accommoder le passage des touristes que l’on a remplacé ces moyens par des escaliers fixes (en tranchant parfois même dans la maçonnerie antique). Dans un but mercantile on a défiguré la conception défensive des remparts…

2)      Les éperons en accolade, dont les tours furent dotées à cette époque, étaient, d’après certains chercheurs, destinés à renforcer leur résistance à une attaque frontale en détournant les chocs du bélier ; concernant les pierres à bossage ils avancent que la forme bombée permettait un dégagement latéral de l’énergie reçue lors de l’impact d’un projectile en limitant ainsi les dégâts. Pour ma part (et j’ai trouvé des notes de spécialistes qui me confirment dans mon opinion), je suis persuadé que la combinaison de l’appareil à bossage et du plan à éperon ne servait que peu à quelque fonction défensive plus ou moins illusoire mais qu’il s’agit avant tout d’un élément architectural destiné à dégager un aspect de solidité et de puissance ; dissuasion adressée à un attaquant potentiel :
« N’essaye même pas de m’attaquer, je suis plus fort que toi » !



Sources :
- POUX J. « La Cité de Carcassonne, l’épanouissement (1067-1466) », Privat 1922, tome II p. 17-57
- BRUAND Y. « Les enceintes fortifiées » dans Société française d’Archéologie, Congrès archéologique de France 131, Session 1973, Pays de l’Aude, AD11 : 770.94448 CON pp.497-515
Texte JP Oppinger

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